200 fois le SMIG
Ainsi, et au vu des salaires de nos PDG de banques, il faudrait 15 ans à un Tunisien touchant le SMIG pour égaler ce que touche en un mois un PDG. Plus de 200 fois avec un calcul à la louche.
Nous voulions faire de la Tunisie un pays développé entrant de plain-pied dans l’économie de marché ? Eh bien nous y voilà ! Depuis le temps qu’on entendait parler de ces écarts aux Etats-Unis et en Europe, il fallait bien que ça nous arrive un jour.
Et encore ! Les chiffres que nous avons publiés dans notre article de vendredi dernier ne prennent pas en compte certains avantages tels les jetons de présence, les parachutes dorés, les stock-options et autres avantages que les commissaires aux comptes ont préféré ne pas mettre dans leurs rapports.
C’est grotesque, c’est immoral, c’est indécent, ont commenté certains de nos lecteurs. Peut-être. Je ne saurai m’aventurer sur ce terrain-là puisque je n’ai aucune idée sur les motivations des comités de rémunération qui ont, théoriquement, décidé les salaires de ces PDG.
Un administrateur de la place est tombé des nues en lisant notre article, car il jure ses grands dieux qu’il n’était pas au courant de l’existence de ce comité de rémunération désigné par un conseil d’administration dont il est membre !! Comment alors sont fixés les salaires et sur quelle base ? Qui les a fixés ?
La question mérite d’être posée et une explication doit être donnée aux actionnaires.
Peut-être que ces PDG sont des surhommes et méritent de telles rémunérations ! Qu’on nous le dise ! Mais il se trouve que la Tunisie est très petite et, dans le microcosme bancaire, tout le monde connait tout le monde. Et rares sont ceux qui méritent le salaire qu’ils touchent. Certains méritent plus, d’autres méritent bien moins.
Comment expliquer en effet qu’un PDG dont la banque a des résultats en baisse puisse toucher 10 fois plus qu’un autre PDG dont la banque a des résultats en hausse ?
Comment expliquer qu’un PDG d’entreprise puisse toucher 100 ou 200 fois plus que son « collègue » travaillant dans la même boite et participant tous les deux, chacun à sa façon, à l’essor de cette même entreprise ? Avec un tel fossé, il n’est pas sûr que celle-ci fonctionne de manière optimale.
Comment expliquer ces écarts pharaoniques entre un PDG d’une banque publique et un PDG d’une banque privée ?
Comment expliquer que des PDG aux résultats médiocres continuent encore à occuper leur poste et toucher leur salaire très élevé alors qu’ils auraient dû quitter le bateau depuis belle lurette ?
Comment expliquer que ces mêmes PDG continuent encore à exercer leurs fonctions alors qu’ils auraient dû partir à la retraire depuis belle lurette ?
Comment expliquer que ces mêmes PDG qui n’ont pas encore d’ordinateur dans leur bureau continuent à faire valoir leur savoir-faire, alors qu’ils sont totalement dépassés par les événements et ne rendent toujours pas compte que l’époque a changé ?
A vrai dire, les gros salaires ne dérangent pas. Ce sont les gros écarts qui agacent et les rémunérations imméritées qui irritent.
Interrogé il y a quelques mois sur son rendement et sur la concurrence du privé, un PDG d’une entreprise publique nous fait cet aveu. « Quand je suis à l’étranger pour négocier un gros contrat, dit-il, j’ai honte. Je ne peux même pas inviter mon partenaire à un dîner d’affaires dans un « cinq étoiles » décent faute de moyens. L’administration me fixe un plafond de devises que je ne dois pas dépasser.
Mon concurrent du privé, par contre, a le loisir de faire ce que bon lui semble et d’inviter qui il veut là où ça lui chante. Son conseil d’administration lui a donné carte blanche avec, pour seul objectif, des résultats concrets la fin de l’année. Ne parlons pas de nos concurrents étrangers car, là, nous ne jouons pas sur le même terrain. Pourtant, je suis plus que convaincu que si je disposais de leurs moyens, j’aurai réalisé des résultats nettement meilleurs qu’eux !»
En clair, on fait face à des salaires très élevés d’un côté et très bas de l’autre. On fait face à des gens qui ont un mérite certain, mais qui sont payés à des salaires nettement inférieurs à ce qu’ils devraient recevoir. On fait face à des gens qui n’ont pas vraiment de mérite, mais qui sont payés à des salaires nettement supérieurs à ce qu’ils devraient recevoir.
Il est franchement injuste qu’un PDG d’une banque publique, d’une compagnie aérienne publique ou d’un opérateur téléphonique public touche dix fois moins que son concurrent du privé alors que les deux travaillent dans le même pays et sur le même marché.
De même qu’il est injuste que des écarts entre les salaires les plus élevés et ceux les plus bas atteignent ces proportions.
Dès lors que le salaire le plus élevé dépasse plus de 30-40 fois celui le plus bas, il y a des risques sur la cohésion sociale dans une entreprise, voire dans un pays.
Nizar Bahloul - Businessnews